Pourquoi faut-il relocaliser l’énergie ?

Et si l’on consommait l’énergie produite sur notre toit ou dans le champ d’à côté ? Et si, au lieu de parcourir des centaines de kilomètres, les électrons n’en parcouraient que quelques dizaines ? Et si, l’énergie produite localement enrichissait le territoire plutôt que les développeurs privés du Brésil, de Chine ou d’ailleurs ? Et si cette vision utopiste ne l’était pas ?

Le système français que l’on connaît est centralisé, un gestionnaire en assure l’équilibre et le fonctionnement à l’échelle du pays. Alors forcément, des petites installations qui voient le jour ici et là, ça complique un peu la gestion globale. L’intermittence des énergies renouvelables en rajoute une couche, créant une surcharge en heure creuse sans résoudre les pics de consommation.

Ce système énergétique centralisé a été mis en place après la seconde guerre mondiale et a permis de répondre de façon très efficace aux besoins d’une société en reconstruction. Un système bien conçu, centralisé autour de centrales nucléaires envoyant des électrons de tous côtés pour irriguer villes et campagnes, voyageant parfois plusieurs centaines de kilomètres pour venir nous éclairer. Aux manettes du système, un opérateur public unique jusqu’en 1996, EDF-GDF.  Après l’ouverture à la concurrence, le marché de l’énergie évolue, laissant de la place à d’autres producteurs d’énergie. La gestion du réseau continue d’être assuré par un service public, conformément aux normes européennes, et revient à deux opérateurs issus de l’opérateur historique : Enedis pour l’électricité et GRDF pour le gaz.

Basculer vers une production décentralisée implique de changer de paradigme, de rajouter une dimension de proximité à la lecture binaire production-consommation classique. Produire et consommer localement a de nombreux avantages, à la fois pour les territoires qui renforcent leur résilience et boostent leur économie, et pour les gestionnaires de réseau, dont le travail d’entretien se trouve réduit grâce à la relocalisation des flux énergétiques causant moins de pertes. Ce basculement demande aussi des efforts, pour les territoires qui doivent se réapproprier des enjeux généralement concédés à d’autres opérateurs et réinventer une gouvernance locale de l’énergie, et pour les gestionnaires de réseaux qui doivent ouvrir un dialogue transparent avec les territoires et maintenir l’équilibre du réseau. Il faut passer d’un réseau conçu de manière unidirectionnelle à un réseau bidirectionnel, où production (injection d’énergie sur le réseau) et consommation (prélèvement d’énergie du réseau) locales s’articulent pour atteindre l’équilibre.

Le basculement est déjà en cours, les réglementations évoluent, facilitant désormais l’autoconsommation d’énergie, individuelle et collective, permettant d’ouvrir de nouvelles perspectives. La gouvernance évolue, laissant de plus en plus de place aux acteurs locaux, et notamment dans les territoires ruraux où de nombreux projets territoriaux et citoyens voient le jour.

Pourtant, ces projets continuent de reposer sur un équilibre financier fragile, dépendant du tarif d’achat de l’énergie. Le tarif réglementé de l’énergie est composé pour 1/3 du coût de l’énergie, 1/3 du coût du transport, et 1/3 de taxes. Il ne prend toutefois pas en compte d’autres paramètres et notamment celui de la proximité alors que ce facteur pourrait permettre de réduire le coût de l’énergie en limitant les coûts liés au transport. Une vision corrélant besoin et production pourrait aussi permettre de mieux calibrer les projets naissants, associant la puissance de production au la taille du besoin sur le territoire. Cela bénéficierait à la fois aux producteurs d’énergie renouvelables, sûres de pouvoir revendre leur énergie à bon prix, aux consommateurs, connaissant l’origine de l’énergie et bénéficiant d’un tarif réduit, et aux gestionnaires de réseau, ne remettant pas en cause l’équilibre de celui-ci et réduisant les frais de maintenance.

Qu’est-ce qui nous empêche aujourd’hui de rentrer dans cette logique ? Une inertie des gestionnaires de réseau face au changement ? Une méconnaissance des acteurs locaux des enjeux énergétiques ? Une politique énergétique nationale (et européenne) centrée sur la production d’énergies renouvelables plutôt que sur l’intelligence territoriale ? Des lobbies qui se complaisent dans le système actuel ? Chacun a sa part de responsabilité et son rôle à jouer pour mettre en œuvre les changements nécessaires à la conduite de la transition énergétique et à la définition d’un système intégré au niveau européen.

Céline Seince – RURENER

Photo: Free-Photos; skeeze; hhach – Pixabay

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